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29 juin 2008 7 29 /06 /juin /2008 21:25
Ca commençait toujours pareil, quelques minutes avant le coucher de soleil. Elle arrivait en premier. Elle marchait sur le sable, calmement, comme une vraie femme. Elle n'avait pourtant même pas dix ans. Il arrivait en général peu après. Elle se tenait debout, au milieu de la plage, tournée vers la mer, le guettant du coin de l'oeil. A peine plus jeune qu'elle, il accélérait le pas dès qu'il la voyait, se demandant chaque soir comment elle pouvait être toujours la première.

Ils se saluaient timidement. A partir de là, une toute autre soirée commençait pour ces deux enfants. L'excitation, les rires, les mouvements brusques de la journée faisaient place à un espace de vide, de douceur, de calme et de poésie. Ils allaient s'asseoir près de l'eau, à quelques mètres des premières vagues. Ecoutant le ressac, suivant des yeux l'écume qui s'approchait et disparaissait, profitant de la fraicheur de l'air qui caressait leur visage.

Ils avaient interdiction formelle d'aller dans l'eau.  Pourtant, ils en avaient envie, plus que tout pendant ces instants. C'était peut-être de sentir l'eau fraiche sur leur peau après une journée écrasante, se faire bousculer par les vagues, se serrer l'un contre l'autre, seuls au milieu du vide. C'était peut-être aussi braver l'interdit. C'était peut-être surtout la certitude abstraite mais omniprésente qu'ils étaient nés pour ça. Que tout ce qu'ils avaient vécu, chacun de leur coté, depuis leur naissance jusqu'à ces soirées, n'avaient été vécu que pour qu'ils se baignent ensemble, une nuit, deux nuits, toutes les nuits. Que tout leur être était fait pour ça, n'était fait que pour ça.

Ils avaient chacun cette certitude, et savaient qu'ils la partageaient. Ils ne se l'étaient jamais avoué. Pas besoin. Ils se l'étaient dit sans parler, ils se le disaient chaque soir sans parler, juste en s'assoyant sur le sable et en contemplant le coucher de soleil, l'un contre l'autre. Parfois, ils échangeaient quelques mots. Il leur arrivait même de se tenir par la main.

L'histoire ne dit pas ce qu'ils ressentaient vraiment pendant ces moments. Un mélange de bonheur et de frustration sans doute. Peut-être que sur le moment ils ressentaient plus de frustration que de bonheur, mais aujourd'hui ils savent que le vrai bonheur était peut-être justement de ne pas aller dans l'eau, simplement de savoir qu'ils en avaient chacun envie. Peut-être même qu'ils étaient assez intelligents pour le ressentir sur le moment. L'histoire ne dit pas non plus s'ils ont un jour décidé de braver l'interdit. Peut-être s'y sont-ils finalement risqués par petites touches successives, juste les pieds dans l'eau, jusqu'aux genoux, timides comme les deux enfants qu'ils étaient. Ont-ils cédé à leur irrémédiable besoin de fraîcheur, ou conservent-ils juste ce délicieux souvenir d'un désir commun étiré à l'infini ?

L'histoire dit juste qu'ils regardaient la mer, tous les soirs, l'un contre l'autre. Et c'est peut-être suffisant.
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commentaires

@
Touchée...
Répondre
L
<br /> C'était le but. Mais peu osent l'avouer. Qui que tu sois, merci de l'avoir manifesté !<br /> <br /> <br />

Boussole