Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
10 juin 2008 2 10 /06 /juin /2008 13:45
La première fois que des inconnus ont pu admirer ma tronche dans le journal, ca devait être vaguement pour une fête d'école. Ces fêtes où les enfants sont déguisés en n'importe quoi et exécutent (au sens militaire du terme) une danse ou une pièce de théatre devant un public de parents qui critiquent les gosses des autres et admirent les leurs. Parfois, lors des périodes d'actualité creuses, lors desquelles nulle star ne vient s'écraser contre un pilier de pont ou aucun terroriste contre la paroi d'un immeuble, le journal local bizute un stagiaire en l'envoyant se frotter à la plèbe pour prendre une photo. Je devais mesurer un mètre dix à l'époque, 200 fois moins sur la photo.

Mon deuxième instant de gloire, cette fois je m'en souviens nettement. J'avais passé une vague épreuve de slalom de ski, parmi d'autres merdeux dans mon genre, et j'étais pour la deuxième fois placardé dans le journal local aux pages lues seulement par les retraités sur une photo de groupe. Ma tronche n'avoisinait toujours pas le centimètre, mais j'ai conservé l'article dans un album de photos perdu au fond d'une armoire.

La troisième fois me prit un peu au dépourvu. Je sortais avec un ami de l'épreuve de philosophie du bac. Je lui racontais comment j'avais vaillamment placé la fameuse citation de Desproges « si les gens ne parlaient que de ce qu'ils avaient vu, ils diraient moins de conneries », pour conclure mon texte qui tentait vainement de répondre à la question « Notre connaissance du réel se limite-t-elle au savoir scientifique ? ». Je n'eus pas les couilles à l'époque de compléter cette citation déjà triviale par la phrase qui vient ensuite : « Est-ce que le pape parlerait du stérilet de ma belle-soeur ? », mais avec le recul, j'aurais peut-être dû. Mon texte de philo valait encore moins que le présent article ; un sombre examinateur l'estima pourtant à 13 sur 20 en se grattant le nez.
Bref je descendais les marches du bahut avec mon ami lorsqu'un homme petit, prétendant être journaliste, muni d'un appareil jetable et d'un bloc de post-it (le modèle mini, celui sur lequel on ne peut même pas noter le numéro de la pouf qu'on vient de serrer) nous aborda. Ils nous demanda les sujets, et si on avait réussi. Déjà anti-conformiste à l'époque, j'avais contredit mon ami qui prétendait ne pas pouvoir évaluer une copie de philo, en lui arguant que « si t'as rendu feuille blanche, faut pas t'attendre à un 17 ». Le petit homme termina en nous prenant en photo. Vu son attirail, je pensais qu'il s'était échappé de l'asile, ou qu'il se chauffait la voix en attendant que des filles sortent. Malheureusement, il se révéla effectivement journaliste, puisque j'eus la fierté de voir ma rébellion transcrite noir sur blanc dans l'édition du lendemain, à coté de ma photo en pied avec mon ami, tous les deux arborant un grand sourire et un haut port de tête, fiers comme deux roubignoles dans un slip d'italien.

La quatrième fois, ca sera la semaine prochaine. Cette fois ca n'est plus pour rire. Un article sur moi dans le magasine le plus lu de mon domaine. Sans doute publié aussi sur son homologue en ligne. Une interview d'une heure par téléphone et un photographe qui se déplace spécialement pour flasher mon sourire Colgate.

Tout ça pourquoi ?

Je ne sais pas trop. Un salon comme il en existe tant d'autres, une vieille journaliste qui flashe sur moi, ou plutôt qui repère le pigeon. Le jeune con qui donne déjà des conférences, les cheveux bien laqués en arrière et le col repassé. La success story façon Web 2.0, avec une touche de jeune premier et de gendre idéal. Enfin un autre cliché que le sempiternel hackeur mal rasé reconverti dans le e-commerce, autrefois bankable, et devenu totalement has-been depuis l'explosion de la bulle Internet.
Alors on y va, on en profite, on le fait à fond. Peut être plus tard, quand on sera au sommet, on se permettra de refuser ce genre de choses. Mais là non, on fait tout comme dans le manuel. On cite son entreprise, pour faire corporate ; et ses écoles, au cas où tout s'écroule et qu'il faille se reconvertir dans l'enseignement pour boutonneux. On explique à quel point on a fait les bons choix et comment on est devenu le roi du pétrole de sa rue.

Tout ca pour quoi ?

Je ne sais pas non plus. Peut-être parce que quand même, c'est pas si mal de se prendre pour un autre. Peut-être parce qu'à force de relire l'article, je vais vraiment croire ce qui est marqué. Je vais vraiment finir par croire que je suis un mec bien qui a réussi, que des jeunes lecteurs peuvent prendre pour exemple et sur lequel des vieux lecteurs peuvent cracher. Peut-être parce que notre habitude formatée de gober tout ce qu'on voit dans les médias s'applique pour nous-même. Peut-être parce que se sentir important, c'est se sentir exister. Peut-être parce que c'est une nouvelle étape qui nous place un peu plus près du paradis. Peut-être parce que finalement, Warhol était le plus grand génie de tous les temps.

Maman regarde, y'a John Doe dans le journal...
Partager cet article
Repost0

commentaires

Boussole